Le chorégraphe français Maurice Béjart est mort à l'âge de 80 ans, a annoncé jeudi à l'AFP le Béjart Ballet Lausanne, qu'il dirigeait depuis 20 ans dans la cité suisse.
Des gestes désarticulés sur pointes, des entrechats mêlés de breakdance. En un demi-siècle de carrière chorégraphique, Maurice Béjart, disparu jeudi à l'âge de 80 ans, a uni classique et contemporain pour toucher un large public. Tant pis si le succès critique n'a pas toujours été au rendez-vous. Pour lui, l'important était de redonner au XXe siècle le "goût de la danse" et d'assurer la relève. Ce qu'il a fait.
Son "Sacre du printemps" (1959) a suscité un enthousiasme immédiat. Sa compagnie, le Ballet du XXe siècle, a été la première à danser en Avignon: elle y a donné en 1966 le "Boléro" de Ravel, qui reste l'un des ballets les plus joués dans le monde, et l'année suivante la mémorable "Messe pour le temps présent". Maurice Béjart a rempli des stades et suscité des vocations.
Né à Marseille le 1er janvier 1927 d'un père philosophe, Maurice Béjart, de son vrai nom Maurice Jean-Berge, perd sa mère à l'âge de sept ans. Enfant, il se destine au théâtre mais découvre la danse "par hasard". Après un accident, un médecin lui prescrit, en guise de culture physique, la pratique de la danse classique. "Je me suis passionné pour cet art et tout mon goût pour le théâtre est passé dans la danse", dira-t-il plus tard.
Maurice Béjart acquiert un bagage classique -qu'il étrenne avec Roland Petit, entre autres. Plus tard, il exigera de ses danseurs la même maîtrise des bases académiques. Lors d'un séjour en Suède, il découvre l'expressionnisme.
A ses débuts de chorégraphe, il sort des sentiers battus avec "Symphonie pour un homme seul". Ce spectacle qu'il décrit comme "la recherche d'un langage de base" sera réinterprété dans les années 1980 par Patrick Dupond.
En 1959, il règle à Bruxelles "Le Sacre du printemps" de Stravinski. Le ballet, qui avait été hué lors de sa création par Nijinski en 1913 à Paris, connaît cette fois-ci un grand succès, y compris lors de sa reprise en 1965 à l'Opéra Garnier, où le difficile public parisien est conquis.
Dans la foulée, en 1960, Béjart monte à Bruxelles une compagnie internationale, le Ballet du XXe siècle. L'année suivante, il signe le "Boléro" de Ravel, véritable musique visuelle. Le Rythme est interprété par un groupe de danseurs tandis que le rôle central, la Mélodie, est confié, suivant les représentations, tantôt à une danseuse, tantôt à un danseur.
C'est ce spectacle qu'il choisit de donner lorsqu'en 1966 Jean Vilar l'invite au festival d'Avignon. L'année suivante, est célébrée dans la Cour d'honneur du Palais des Papes la "Messe pour le temps présent", inspirée du "Cantique des Cantiques" et de "Ainsi parlait Zarathoustra" de Nietzsche. "Ca va du classique le plus pur, puisqu'au début les danseurs font des exercices à la barre, jusqu'aux danses les plus contemporaines comme le jerk", explique l'auteur.
Un mélange des genres qui l'amusera toujours. En 1978 pour "Léda", qui raconte comment Zeus s'est transformé en palmipède pour séduire la femme de Tyndare, il fait danser Jorge Donn avec Maïa Plissetskaïa, une ballerine du Bolchoï célèbre pour son interprétation du "Lac des Cygnes". Et en 1997, Sylvie Guillem livre un tango sur le bout des pointes dans "Racine cubique".
Ce mélange contribue probablement au succès. Dès les années 1960, Béjart remplit des arènes, des stades, des cirques, comme avec sa "Neuvième Symphonie" de Beethoven (1964), une fresque à grand spectacle. Pour le bicentenaire de la Révolution française, il rassemble 4.000 personnes chaque soir sous la verrière du Grand Palais, à Paris, pour "1789 et nous". Et en 2007, pour ses 80 ans, il s'offre pour la énième fois le Palais des Sports de Paris avec "L'Amour, la Danse", sorte de best-of de ses chorégraphies.
Lorsqu'il a débuté, très peu de spectateurs s'intéressaient à la danse. Sa démarche a donc été marquée par la "recherche d'un public différent", explique Béjart en 1984. "Et c'est ce public différent qui m'a donné ma couleur, qui m'a donné mon langage".
Tant pis si les aficionados grincent des dents. En 1965, le chorégraphe raconte composer des ballets d'une part pour ceux qui n'en avaient jamais vu, d'autre part pour les cinq personnes au monde qui comprennent très bien la danse. "Entre ces deux choses-là, il y a ce qu'on appelle les balletomanes, et ces gens-là, je les déteste", lâche-t-il.
Les succès critiques sont rares, la reconnaissance internationale faible. Béjart reconnaît lui-même que certains de ses ballets sont "tarte". Et ce n'est pas par eux qu'il veut entrer dans la postérité. "Le plus important, c'est un certain goût de la danse que j'ai donné aux gens", affirme-t-il en 1970. Avec ses écoles (Mudra à Bruxelles en 1970, Rudra à Lausanne en 1992), Béjart a en effet assuré la relève. Il compte parmi ses anciennes élèves la chorégraphe toulousaine Maguy Marin et la Belge Anne Teresa de Keersmaeker. En 2004, il crée d'ailleurs avec les jeunes danseurs du Béjart Ballet Lausanne un spectacle au titre évocateur: "L'Art d'être grand-père".